Psychédéliques et spiritualité – Olivier Chambon et Stephan Schillinger

L’AFUSE (Association Francophone pour l’Utilisation Spirituelle des Enthéogènes) se mobilise contre les tabous et interdictions concernant les substances enthéogènes
Interview pour le site web de Vertical Project Media, janvier 2022

Les enthéogènes – psychédéliques sont encore vécus comme très « sulfureux » en France. Certains mènent une campagne d’information pour démontrer leur efficacité sur certaines pathologies et leur utilité pour le développement spirituel. C’est le cas de Stephan Schillinger et Olivier Chambon de l’association AFUSE.

Le mot enthéogène signifie le versant spirituel des psychédéliques. Ceux-ci sont extraits d’un grand nombre de plantes, champignons, animaux, ou peuvent être des produits de synthèse chimique. Il peut s’agir de LSD, de MDMA, de champignons à psilocybine, ou encore d’ayahuasca etc… Si ces substances peuvent faire peur aux premiers abords, des personnes ont décidé d’enlever le tabou ancré autour d’elles pour les rendre crédibles à l’égard de la science. De très nombreuses expériences ont été menées afin de rendre compte de l’efficacité de ces substances pour guérir des maladies physiques et psychiques.

Stephan Schillinger, conférencier et écrivain, et Olivier Chambon, médecin-psychiatre, psychothérapeute, et écrivain, font partie des personnes qui se battent pour la reconnaissance des enthéogènes dans le monde médical mais aussi, plus largement, dans la société. Les deux hommes se sont associés pour créer l’AFUSE, une association créée sur Facebook afin de renouer avec une pratique spirituelle des enthéogènes.

Stephan évoque qu’il y a « une éducation très importante à faire dans la manière d’utiliser les psychédéliques» qu’il faut inculquer, puisque ces substances sont aujourd’hui utilisées de façon peu scrupuleuse.

Les deux hommes veulent alors réunir des personnes qui s’intéressent à ce sujet et qui ont envie de pouvoir un jour pratiquer ces expériences dans un cadre légal et sécurisé.

Olivier ajoute que plusieurs études ont déjà vu le jour, mais que ces dernières valorisaient peu les expériences spirituelles qui s’y déroulaient et imposaient un modèle de compréhension et d’interprétation très matérialiste de ce qui s’y passait de fondamental: « On s’oppose à cela. L’homme a une dimension matérielle, émotionnelle et mentale, certes, mais aussi une partie spirituelle très importante. Ces substances se révèlent bien plus efficaces quand elles provoquent des phénomènes spirituels, même quand elles sont strictement utilisées pour le traitement de maladies mentales ou physiques. Ces phénomènes ne sont donc pas à réfuter, mais à rechercher. »

L’AFUSE a été créée dans le but de réunir les personnes croyant aux bienfaits de ces enthéogènes. « On s’est dit que cela avait du sens de créer un endroit où des gens pourraient échanger et partager sur le lien entre développement spirituel et psychédélique », évoque Stephan Schillinger : « La manière de fonctionner est simple, on est très ouverts aux nouvelles personnes qui veulent rejoindre le groupe. Nous n’avons aucun dogme, aucune religion, ni aucune tendance spirituelle qui serait imposée. C’est une ouverture vers tout ce qui fait le pont entre l’humain et le spirituel à l’aide des outils psychédéliques que la nature nous donne ».

Pour Olivier, « avec Stephan, on s’est dit que quelqu’un devait tenir cette voix de la spiritualité, non dogmatique et non religieuse. La spiritualité fait peur, car on la confond avec des sectes ou du fondamentalisme».

Les deux créateurs d’AFUSE ont écrit un manifeste que l’on peut retrouver sur la page Facebook de l’association. Celui-ci rappelle comment ces substances ont pu permettre aux plus grandes religions d’être ce qu’elles sont aujourd’hui, ou encore comment certains philosophes comme Platon ou Aristote ont produit, après des initiations psychédéliques, les grandes pensées philosophiques que l’on enseigne maintenant. « Tout cela a un fondement historique », exprime Stephan Schillinger, « les enthéogènes sont utilisés depuis des milliers d’années. Dans le manifeste, on remet au goût du jour l’entrelacement des cadeaux de la nature qui donnent accès à une dimension spirituelle ».

Olivier Chambon ajoute que « La France a toujours plus de retard contrairement à beaucoup de pays occidentaux. Plusieurs villes aux États-Unis ont déjà légalisé les psychédéliques, des cliniques spéciales ouvrent pour cela. On propose une réflexion dans une optique qu’un jour on réutilise les structures spirituelles et sociales qu’il y avait avant notre civilisation, plusieurs structures existaient déjà en rapport avec les psychédéliques et l’accompagnement des personnes qui souhaitent en consommer ».

Le psychothérapeute aimerait que l’image des psychédéliques s’adoucisse. Il exprime son mécontentement face à l’image que la société peut en donner : « Lorsque l’on commence à parler des psychédéliques dans les années 70, les politiques décident de catégoriser les psychédéliques comme dangereux, inutiles, entretenant une dépendance. La recherche, depuis le milieu des années 90, montre que, dans de bonnes conditions, les psychédéliques peuvent être utiles, non dangereux et soignent des dépendances ». Le co-créateur d’AFUSE reste tout de même positif. Il exprime en effet le fait que beaucoup de personnes croient aux bienfaits de ces substances et qu’il serait bon de les légaliser tout en contrôlant leur usage : « les choses commencent à changer, beaucoup de personnes me demandent maintenant si je peux les soigner avec les psychédéliques. Je leur réponds que malheureusement non, c’est illégal ».

Son collègue ajoute : « Nous avons du retard sur beaucoup d’autres pays. Par exemple, la MDMA très expérimentée en Australie. En France, elle est utilisée de façon erronée et de la mauvaise manière».

La légalisation n’est alors pas près d’être en discussion pour l’instant. J’ai posé une dernière question à Olivier et Stéphane sur le rôle que les PDL pourraient tenir dans le cadre du développement spirituel de chacun d’entre nous : « doivent-ils être réservés à des patients atteints de maladie physique ou psychologique, ou bien pouvons-nous espérer qu’ils soient un jour à nouveau rendus accessible à toute personne responsable et consentante qui voudrait  « honorer le divin en elle » » ?

Pour fournir quelques éléments de réponse, les deux auteurs me proposent de terminer cet article par la publication d’un « Manifeste enthéogénique pour une spiritualité assistée par les psychédéliques ».

Ses principes constitutifs sont les suivants :

  • Les capacités spirituelles constituent une partie essentielle de l’être humain, à côté des parts physique, émotionnelle et mentale, et elle doit être prise en compte dans toute prise en charge, que celle-ci soit médicale ou psychique.
  • Les bénéfices thérapeutiques des psychédéliques ont été prouvés scientifiquement pour de nombreuses affections physiques et psychiques (addictions, trouble post-traumatique dépressions résistantes, détresse existentielle en fin de vie, etc…). Leur sécurité d’utilisation dans un cadre médical a elle aussi été prouvée par de nombreuses études. Nous demandons que le pouvoir politique légifère afin que la population générale puisse dès maintenant, au plus vite, profiter de ces « super-médicaments » qui peuvent littéralement sauver des vies et/ou en améliorer grandement la qualité. Mais nous avons aussi pu observer l’incomplétude des approches thérapeutiques quand celles-ci se cantonnent au domaine physique ou psychologique et restent dénuées de considérations et de retombées spirituelles.
  • En effet, chez les sujets sains aussi, l’intérêt des psychédéliques est immense. Il concerne le développement spirituel. La recherche a démontré que les psychédéliques (enthéogènes) permettent l’accès à une spiritualité tout à fait réelle, aussi profonde et de même nature que celle des expériences mystiques spontanées ou liées à une pratique spirituelle sans prise de substances.
  • La branche de la science la plus avancée actuellement est dite « post-matérialiste ». Elle montre que la Conscience est première dans l’Univers, et que la matière et l’énergie n’en sont que des dérivés secondaires ; les psychédéliques permettent une reconnexion à cette Conscience et à ses champs différenciés et constituent donc une composante essentielle pour une future « médecine de la conscience », proposant une redéfinition moderne de la « spiritualité ».
  • Les grands mystiques à l’origine même des religions ont, pour la plupart, bénéficié de la consommation de plantes ou de champignons psychédéliques, qui ont joué un rôle essentiel dans les révélations qu’ils ont connues puis rapportées.
  • Les cultes à mystères de l’antiquité grecque (surtout ceux d’Eleusis et de Dionysos) s’accompagnaient de la consommation de psychédéliques et ont influencés la pensée de nombreux tragédiens et philosophes grecques ou romains majeurs à l’origine de notre pensée occidentale, dont Platon, Socrate, Sophocle, Euripide, Aristote, Épicure, Plutarque , Marc-Aurèle et Cicéron.
  • Les premiers chrétiens, dans les trois premiers siècles après Jésus-Christ (paléo-christianisme) consommaient aussi des psychédéliques lors de l’Eucharistie, dans la continuité des cultes à mystères grecques (surtout dans la lignée des cultes dionysiaques), et proposaient donc encore un rapport direct, non intermédié, avec le divin.
  • Le droit fondamental d’explorer sa propre conscience devrait être inaliénable, quel que soit le moyen utilisé, dont la consommation des psychédéliques ; et ce, tant que l’on ne met la vie de personne en danger, ni la sienne ni celle des autres. Or, il a bel et bien été démontré que les psychédéliques étaient bien moins nocifs que l’alcool, la cigarette, les benzodiazépines et plein d’autres produits légaux, tout en ayant de bien plus grands bénéfices, à la fois pour l’individu et pour la société.
  • Le droit fondamental de pratiquer une religion devrait lui aussi être inaliénable, quel que soit le moyen utilisé pour le culte, dont la consommation des psychédéliques. Aux Etats-Unis, il existe d’ailleurs déjà des églises légales autour de la consommation rituelle de l’ayahuasca (Santo Daïme), du peyote (Native American Church) et même (bien que ce ne soit pas à strictement parler un psychédélique) du cannabis.
  • Vu l’état de souffrance actuel du monde (inégalités, prédation, concurrence-compétition, peur de l’autre, quadruple crise économique, politique, écologique, et sanitaire), et vu le besoin de sens et de spiritualité de nos contemporains, nous demandons l’autorisation de consommation des psychédéliques, pour les biens portant n’ayant pas de contre-indication médicale, dans au moins l’un de ces trois cadres spirituels : (1) des centres de retraite spirituelles, où des personnes seraient accompagnées individuellement dans un cadre rituel et sécurisé pendant leur expérience psychédélique , et pourraient revenir régulièrement, pour réaliser une authentique « trajectoire spirituelle assistée par psychédéliques » , chaque participant restant libre de l’interprétation de son expérience ; ou bien, (2), des lieux spéciaux d’ initiations psychédéliques, des « temples psychédéliques », dans lesquels des associations spirituelles non dogmatiques pratiqueraient collectivement ce que l’on pourrait nommer des « Cultes à Mystère Modernes » ; ou enfin (3) des néo-églises centrées autour de l’ « Eucharistie psychédélique » communautaire , sans doctrine prédéfinie ou contraignante, sans forcément de « hiérarchie », permettant ainsi un partage et un échange en groupe de l’expérience spirituelle.
  • Ces droits que nous réclamons s’accompagnent bien sûr de devoirs, tant pour les accompagnants que pour les « accompagnés », tant pour les « mystagogues » que pour les « mystes » : comme pour le « code de la route, la consommation doit être précédée d’une sensibilisation aux risques des approches uniquement « récréatives », et d’une pédagogie approfondie et aussi complète que possible sur les « bonnes pratiques » à respecter.

Vous pouvez à tout moment rejoindre le groupe « Association Francophone pour l’Utilisation Spirituelle des Enthéogènes » sur Facebook.

Lectures conseillées :

-Chambon O., La médecine psychédélique », Les Arènes, 2009
-Chambon O., Morisson J., La révolution psychédélique, Trédaniel, 2020
-Chambon O., L’éveil psychédélique, Leduc 2021.
-Chambon O., Les nouvelles thérapies psychédéliques-Des experts témoignent, Trédaniel, septembre 2022.
-Schillinger S., La sagesse interdite, Trédaniel, à paraître fin 2022.

 

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Un commentaire sur “Psychédéliques et spiritualité – Olivier Chambon et Stephan Schillinger

  1. Alain Cagnati says:

    Merci à vous deux pour cette présentation et pour l’association AFUSE à laquelle je pense adhérer.
    La connaissance générale du phénomène de la conscience ne pourra que s’enrichir de l’apport des psychédéliques.
    Le paradigme post-matérialiste est déjà ancré dans le troisième millénaire ;=)
    Merci