Article – A la découverte du transgénérationnel

Le transgénérationnel : Son impact, ses limites et ses bénéfices

Article rédigé par Anaïs Bensahra
Diplômée d’un Master de Philosophie contemporaine. Secrétaire de l’Institut Métapsychique International – Animatrice des Cafés Métapsychiques, conférencière (Histoire de la Métapsychique du XIX-XXe) et Chroniqueuse Vertical Project

Nombreux sont les livres de psychogénéalogie (ou psychanalyse transgénérationnelle) qui habitent nos bibliothèques. Les diverses recherches effectuées depuis plusieurs décennies dans ce domaine nous invitent à adopter une nouvelle perspective sur les rapports que nous entretenons avec notre entourage et à décoder les racines inconscientes de nos interactions. Selon les études de la célèbre psychanalyste Françoise Dolto, trois générations s’avèrent nécessaires pour créer une névrose (ou un nœud traumatique) dans la lignée. L’image des poupées russes proposée par Bruno Clavier¹ illustre avec justesse la dynamique qui est à l’œuvre dans le champ du transgénérationnel : une transmission de génération en génération qui se manifeste par la répétition d’un événement particulier et traumatisant (accidents de voiture, suicide, fausses couches…). Demeurent alors un sentiment de coup du sort ou le poids d’une certaine fatalité dans laquelle certains membres d’une même famille semblent englués… Sommes-nous véritablement condamnés à porter les bagages de nos ancêtres et à subir les événements en conséquence ?

Face aux multiples observations cliniques de cas de transmission transgénérationnelle, les psychanalystes ont élaboré différentes méthodes thérapeutiques permettant de briser cette chaîne en apparence infernale. Anne Ancelin Schützenberger, connue pour son livre Aïe mes aïeux !2 , va promouvoir l’utilisation du génosociogramme (ou « arbre généalogique ») afin de mettre en lumière les potentiels rouages inconscients qui sont à l’œuvre dans les phénomènes de répétition interfamiliale 3. Pour une vision plus élargie de nos interactions quotidiennes, la réalisation de notre « atome social » (selon Jacob Levy Moreno4) peut également s’avérer éclairante. Si l’on préfère des démarches moins individuelles et plus dynamiques, les séances de « constellations familiales5» ou de « psychodrame6 » offrent la possibilité de découvrir les contrats inconscients établis entre les membres d’une même famille par une mise en scène des plus réelles.

A y regarder de près, ce jeu de rôle dépasse en réalité le cadre strictement thérapeutique. S’il nous permet de comprendre les enjeux sous-jacents de nos interactions interfamiliales, il se révèle aussi et surtout au quotidien dans les événements les plus banals. En d’autres termes, nous demeurons incontestablement des acteurs (de façon consciente et inconsciente) en vue de rétablir un déséquilibre présent ou passé. Dans le cadre du transgénérationnel, nous parlons alors de « loyauté familiale invisible7 ». Bien que sans spectateur, les plus jeunes remplacent les anciens qui ont déjà quitté la scène. Et le jeu – parfois comique, d’autres fois dramatique – se poursuit jusqu’à ce que les membres mettent leur costume au placard. Retrouver son autonomie (ou briser les schémas répétitifs reproduits de génération en génération) signifie donc rompre avec les conditions et les règles du jeu tacites établies avec les membres de notre entourage – avec le risque cependant de mettre en péril l’équilibre du système familial. Lieu de l’amour et des reproches, des secrets et des aveux douloureux, des souvenirs heureux et des déceptions, l’univers du transgénérationnel inscrit au fer rouge les actes manqués et les traumatismes dans les mémoires psychiques et cellulaires de ses plus fervents acteurs.

Cet héritage se rencontre, entre autres, dans les rapports mère-fille ou femme-mère. Poids d’un archaïsme inconscient qui domine8 ou d’expériences douloureuses propres à leur condition de genre (fausses couches, avortement, endométriose), chaque femme porte en elle l’histoire de leurs aïeules. Les livres du docteur Danièle Flaumenbaum9 sont à ce titre particulièrement pertinents pour appréhender le transgénérationnel féminin. Par son étude éclairante, nous dessinons progressivement les schémas de répétition transmis par nos ancêtres et sommes disposées à construire notre propre « arbre gynécologique ». Ce sujet, encore en développement, sera justement abordé par Aurélie Aimé dans ses Chroniques interactives sur le transgénérationnel féminin. L’occasion donc de questionner la part de cet héritage et de découvrir les outils à notre disposition pour nous en libérer.

Pris en étau entre les tabous et les conventions sociales, la tentation peut être grande de tomber dans la résignation ou la frustration face à ces schémas qui se répètent et qui nous échappent. Mais partir en quête des traumas familiaux non résolus est aussi l’opportunité d’actualiser l’histoire de la lignée et d’en soulager les membres. Les mœurs ayant évoluées, les non-dits sont invités à s’exprimer et les événements étouffés à être révélés. Ces troubles appellent en définitive à la réunion des différentes parties qui ont été négligées. Ils manifestent, avec toute la force qu’expriment les répercussions du transgénérationnel sur les individus, à quel point chaque membre de la famille est lié à l’autre. L’unité du groupe cherche en réalité à être rétablie par cette transmission. Le transgénérationnel nous présente en effet un véritable paradoxe : c’est dans l’ultime tension de notre union au groupe (à la famille) qu’émerge notre autonomie ou notre vie d’adulte alors libérée des schémas de nos ancêtres et de leurs traumas. Guéris, nous influençons – par extension – notre entourage le plus proche et établissons une dynamique interactionnelle toute nouvelle. La résolution des traumas est alors l’occasion de cultiver compassion et humilité. En cela, nous transformons l’image du fardeau transgénérationnel en un tremplin pour une prise de conscience et un changement de perspective fondé sur davantage de liberté.

Un questionnement demeure néanmoins sans réponse pour les spécialistes en psychanalyse transgénérationnelle : comment ses non-dits traumatiques se transmettent-ils de génération en génération ? Si l’héritage biologique est indéniable (épigénétique), celui-ci ne représente qu’une partie de la transmission. Les traumas sont aussi d’origine psychique. Or, la psyché ne peut être réduite au cerveau. En effet, nos ancêtres ne nous lèguent pas des lésions physiques mais bien des expériences éprouvées, subies et mal ou non digérées. Il s’agit avant tout de chocs émotionnels qui n’ont pas pu être dépassés et que la génération suivante a pour tâche d’expier. Si les conceptions matérialistes montrent une nouvelle fois leur insuffisance à expliquer les phénomènes de la psyché, le mystère du transgénérationnel, lui, continue de perdurer. Par surcroît, pour certains psychanalystes comme Françoise Dolto10 ou Bruno Clavier, le terrain du transgénérationnel serait aussi la scène de manifestations télépathiques. Comment envisager en effet que certains enfants en bas âge (ou adultes11 ) développent des pathologies ou des comportements défaillants en rapport avec des secrets de famille dont ils n’avaient pas connaissance ?

En définitive, l’étude du transgénérationnel nous révèle l’importance de casser certains tabous et conventions sociales qui nuisent à l’équilibre de l’individu et du système familial. Vivre les deuils, les peines, les crises mais aussi les joies et les réussites n’est plus de l’affaire d’un seul individu mais du collectif. L’hygiène émotionnelle de chacun revêt une forme certaine de responsabilité car, par l’expérience de ces « coups du sort », nous prenons véritablement conscience du lien indéniable qui nous unit les uns aux autres. Les traumas d’hier, étouffés sous le poids du secret, s’exprimeront demain à travers la génération suivante. A l’image de Marie Cardinal dans Les Mots pour le dire, libérons-nous des « fantômes12 » de nos ancêtres et permettons-nous de renaître dans l’autonomie et l’empreinte singulière de qui nous sommes.

Anaïs Bensahra
Chroniqueuse Vertical Project

[1] Les fantômes familiaux (2013)

[2] Aïe mes aïeux ! Liens transgénérationnels, secrets de famille, syndrome d’anniversaire, transmission des traumatismes, Anne Ancelin Schützenberger (1998)

[3] Ce type d’exercice pouvant provoquer des prises de conscience importantes et des libérations émotionnelles soudaines, il est recommandé d’être accompagné par un professionnel lors de la réalisation de son arbre généalogique.

[4] Fondements de la sociométrie (1970)

[5] Crée en 1980 par Hert Bellinger. Voir à ce propos : Constellations familiales. Guérir le transgénérationnel (2001) de Constanze Potschka-Lang.

[6] Psychothérapie de groupe et psychodrame (1954) de Jacob Levy Moreno.

[7] Selon l’expression d’Ivan Böszörmenyi-Nagy (psychiatre américain).

[8] En raison d’un passé encore récent où les femmes se mariaient par convention et moins par amour.

[9] Femme désirée, femme désirante (2006) et Les Passeuses d’histoires : ce que nous transmettent nos grands-mères (2014).

[10] Séminaire de psychanalyse d’enfants, Tome I, p. 120 : « Les enfants sont télépathes ».

[11] Voir à ce propos les cas rapportés par Anne Ancelin Schützenberger, p. 63 et p. 120 et suivantes dans Aïe mes aïeux ! Liens transgénérationnels, secrets de famille, syndrome d’anniversaire, transmission des traumatismes (1998).

[12] La notion de « fantôme » a été introduite en psychanalyse à la fin des années 1970 par Nicolas Abraham et Maria Török (dans L’écorce et le noyau). Ils définissent le « fantôme » comme la trace dans l’inconscient d’un descendant, du secret inavouable d’un ou de plusieurs de ses ancêtres se manifestant dans des paroles et actes étranges, dans des symptômes phobiques et obsessionnels, comme s’il était « hanté » par quelque chose appartenant aux générations qui l’avaient précédé. Pour Anne Ancelin Schützenberger et Didier Dumas, s’il y a répétition significative dans un arbre généalogique alors il y a présence d’un « fantôme ».

Bibliographie proposée

Pour une lecture introductive des grands axes de la psychogénéalogie et appréhender la libération du transgénérationnel par l’auto-hypnose : Auto-hypnose et transgénérationnel (2015) de Patricia d’Angeli.

Pour découvrir la psychogénéalogie et ses méthodes avec Anne Ancelin Schützenberger : Aïe mes aïeux ! Liens transgénérationnels, secrets de famille, syndrome d’anniversaire, transmission des traumatismes (1998), Psychogénéalogie. Guérir les blessures familiales et se retrouver soi (2007), Le psychodrame (2001).

Sur le transgénérationnel féminin (ouvrages du docteur Danièle Flaumenbaum) : Femme désirée, femme désirante (2006) et Les Passeuses d’histoires : ce que nous transmettent nos grands-mères (2014).

Pour connaître des cas cliniques de transgénérationnel : Comment paye-t-on les fautes de ses ancêtres. L’inconscient transgénérationnel (1998) de Nina Canault, Constellations familiales. Guérir le transgénérationnel (2001) de Constanze Potschka-Lang, Les fantômes familiaux (2013) de Bruno Clavier, Un merveilleux malheur (1999) de Boris Cyrulnik, L’ange et le fantôme. Introduction à la clinique de l’impensé généalogique (1985) de Didier Dumas.

 

Lien vers les chroniques du féminin sacré - Transgénerationnel

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